Non, je ne vais pas vomir les clichés habituels du genre "les gens qui passent leur temps à téléphoner avec leurs téléphones portables vivent dans un monde virtuel bla bla bla...". Je suis trop exceptionnel pour beugler ce genre de banalités aussi absurdes que déconcertantes. D'un autre côté, il faudrait que je m'abaisse un peu à votre niveau si je veux que vous me lisiez. Ha non en fait j'en ai strictement rien à foutre, c'est pas chez vous ici. Je vous ai rien demandé.
Bref. Je vais vous raconter une belle anecdote qui a l'honneur d'avoir été vécue par l'être le plus sublime que le monde ait jamais connu . Je célébrais la beauté d'une matinée d'automne en déféquant dans un cabinet à la turque, quand soudain l'inimaginable se manifesta à mes oreilles. Mon voisin de sanitaires concrétisa un cauchemar que je n'aurais jamais osé concevoir. Ce moment restera à jamais gravé au burin sur mon petit coeur de pierre. C'était tellement traumatisant que je peine à le retranscrire. Pourtant, presque tout était normal. Les odeurs fruitées et les bruits chatoyants étaient comme à l'accoutumée tout ce qu'il y a de plus poétiques, je me délectais de ce moment de méditation intense qui fut bouleversé par une scène repoussant les limites du ridicule de l'obsession moderne pour les téléphones portables. Tout près, à travers la cloison qui me séparait du trou sans siège d'à côté, je pouvais entendre quelqu'un entrer, faire ses besoins puis sortir tout en continuant de discuter avec son interlocuteur téléphonique. Après plusieurs séances d'hypnose afin de fouiller dans les profondeurs de mon inconscient, j'ai pu reconstituer ce dialogue que j'avais refoulé. Ca donnait à peu près ceci :
"Attends j'ouvre la porte. Elle est bloquée ! Ha non c'est bon. Merde c'est un chiotte à la turque ! Et je te raconte pas l'odeur... Bon je m'installe. C'est vraiment pas pratique. Enfin bon. Mince y a pas de papier ! Ha si. Attends deux secondes, c'est un peu galère pour sortir. Voilà."
Quelqu'un pourrait-il m'expliquer l'intérêt de ce genre de discussion, qui plus est par téléphone ? J'ai déjà du mal à supporter les gens qui me coupent la parole pour écouter leurs messages, ou ceux qui s'amusent à laisser sonner leur joujou en ma présence dans des lieux qui s'y prêtent formidablement bien (bars, salles de conférence, cinémas, cimetières et salles d'opération), mais alors là, ça dépasse l'entendement. A la rigueur, je pourrais comprendre qu'un message soit si important qu'il faille oublier toute notion de dignité. Or dans ce cas on ne peut pas vraiment dire que c'était transcendant. C'était même complètement vide, puisque cette personne s'est contentée de décrire minutieusement le moindre de ses gestes et de ses impressions du moment. C'était en dessous du stade le plus bas de l'échelle de la communication.
Cela m'a permis de saisir l'horreur que vivent les Tchétchènes quand Poutine dit qu'il les traquera jusque dans les chiottes. Non, je pense qu'en fait je les envie. Eux au moins peuvent prendre les armes, mourir en combattant (ou en dormant), tandis que je dois supporter sans broncher, jour après jour, ce genre de conduites dont le seul but est de me pourrir la vie. La justice ne lèvera jamais le petit doigt, et si je réponds à ces actes barbares par mes propres moyens elle me condamnera à de lourdes peines.
Dans un sens, cette fabuleuse aventure prouve une fois de plus que j'ai un destin hors du commun car je suis quelqu'un d'exceptionnel